L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), est une pathologie cardiovasculaire complexe dont la symptomatologie et la sévérité sont susceptibles de dépendre fortement d’autres maladies, dont certaines ne sont pas (directement) de nature cardiovasculaire. Le diabète et ses nombreux effets délétères, notamment la maladie rénale diabétique, constitue l’un de ces exemples.
L’association entre l’AOMI et le diabète est loin d’être une coïncidence ou d’être sans importance, dans la mesure où elle a un effet prononcé sur les patients atteints des deux maladies. L’étude de Framingham a révélé que 20 % des patients atteints d’AOMI était diabétiques, mais elle n’a pris en compte que les patients présentant une forme symptomatique de la maladie [1]. Il s’agit là d’une information complémentaire de grande importance, car il existe bien plus de patients asymptomatiques que symptomatiques. Seuls 10 % de tous les patients atteints d’AOMI présentent des symptômes classiques (claudication intermittente), contre 40 % de personnes asymptomatiques, et les 50 % restants présentant des symptômes atypiques qui peuvent être attribués à d’autres maladies [2, 3]. Le véritable nombre de patients souffrant d’une AOMI (asymptomatique) et de diabète comorbide est par conséquent (probablement) bien plus élevé.
Cependant, les patients diabétiques sont bien plus susceptibles de souffrir de claudication intermittente que les non-diabétiques : les hommes présentent un risque 3,5 fois plus élevé, tandis que les femmes sont 8,6 fois plus exposées [4]. Certains autres effets négatifs sont bien plus néfastes. Au moins 50 % (les estimations montent en réalité jusqu’à 76 %) des patients atteints d’ischémie critique des membres (ICM), la forme la plus avancée de l’AOMI, sont également diabétiques, et ces individus sont sujets à des taux plus élevés de conséquences négatives plus graves, telles que l’amputation des membres inférieurs ou la mortalité, par rapport aux non-diabétiques [5, 6, 7]. Statistiquement, le taux d’amputations majeures est 5 à 15 fois plus important chez les patients atteints des deux maladies, par rapport à ceux qui souffrent uniquement d’AOMI [8]. En outre, le diabète sucré est associé à un plus grand nombre de complications et à des conséquences plus graves à la suite d’une chirurgie vasculaire ou d’une intervention endovasculaire, surtout si la pathologie est mal prise en charge (contrôle inadapté de la glycémie) [9].
Les effets délétères du diabète ne se limitent pas à la sévérité générale de l’AOMI et à l’apparition de conséquences graves, mais vont jusqu’à « dissimuler » la présence de l’AOMI, même en cas d’utilisation d’outils de diagnostic modernes. Par exemple, les patients diabétiques peuvent ne pas souffrir de claudication intermittente à cause d’une atteinte nerveuse causée par la neuropathie périphérique, ce qui a pour effet de retarder un diagnostic rapide et approprié jusqu’à ce qu’il soit peut-être trop tard pour prendre en charge la maladie à l’aide de moyens classiques [1]. Il faut tenir compte de mécanismes physiopathologiques bien plus sévères lors de l’utilisation d’autres méthodes de diagnostic qui ne se fient pas uniquement à la détection de la claudication intermittente.
Il existe plusieurs méthodes de diagnostic permettant de dépister l’AOMI, la plus connue étant l’évaluation de l’indice de pression systolique (IPS). Le caractère pratique et économique de la méthode, associé à sa grande précision ont fait de l’IPS un standard utilisé par les généralistes et les spécialistes. Ces derniers le préfèrent généralement à d’autres alternatives plus complexes et coûteuses (comme l’angiographie) pour le dépistage préventif des individus à risque. Son utilisation se démocratise également grâce à la prolifération des appareils de diagnostic oscillométriques-pléthysmographiques, qui se révèlent supérieurs à la méthode de mesure (standard) via sonde Doppler et sphygmomanomètre d’un point de vue de sa rapidité d’exécution et car ils éliminent la possibilité d’erreur de la part de l’utilisateur [10, 11, 12]
Cependant, malgré tous ses avantages, l’IPS comporte un inconvénient majeur : il est inutilisable chez les patients souffrant d’artères incompressibles (raides/calcifiées). Tous les patients ne sont pas touchés de la même manière, dans la mesure où la maladie est généralement seulement diagnostiquée chez les personnes atteintes de diabète, d’insuffisance rénale terminale (IRT) et de polyarthrite rhumatoïde [13, 14, 15]. Parmi ces 3 pathologies, 2 sont intimement liées : le diabète et l’IRT. La néphropathie diabétique constitue la cause la plus courante (combinée à la néphroangiosclérose) de l’IRT, à la fois dans les pays développés et dans ceux en voie de développement [16]. De plus, entre 20 et 40 % des patients diabétiques seraient atteints de néphropathie diabétique [17].
Ces statistiques préoccupantes ne s’arrêtent pas avec la prévalence des troubles rénaux chez les patients diabétiques ; elles représentent seulement la base de découvertes très documentées d’une incidence et d’une sévérité accrues des conséquences néfastes chez les patients souffrant également d’AOMI. Environ 24 % des patients présentant une insuffisance rénale seraient également atteints d’AOMI (déterminée par un IPS < 0,9) et leurs taux de mortalité sont bien plus élevés que ceux des individus sains [18, 19]. Les taux d’amputation sont également plus élevés et les patients atteints des 2 pathologies sont plus susceptibles de nécessiter des interventions distales et de présenter des infections menaçant leurs membres, par rapport aux individus non concernés par des problématiques rénales [20, 21].
L’évaluation de l’IPS renverra vraisemblablement des scores anormalement élevés (IPS ≥ 1,30) chez ces patients, empêchant ainsi un diagnostic précis. La valeur diagnostique de tels résultats est limitée : des études ont mis en évidence une relation en forme de U entre l’IPS et la mortalité, indiquant que les patients présentant des scores élevés avaient des risques de mortalité équivalents à ceux présentant de faibles scores (les 2 groupes étaient toutefois sujets à des risques de mortalité 2 fois plus importants par rapport aux personnes ayant obtenu des scores intermédiaires) [22]. Un IPS anormalement élevé est également associé à un risque accru d’infarctus du myocarde, mais ne fournit aucune information utilisable dans un contexte clinique concernant l’AOMI [23].
Les patients souffrant d’artères incompressibles, notamment ceux atteints de maladies rénales diagnostiquées, devraient en conséquence être soumis à une évaluation de l’indice de pression à l’orteil (IPO). Les artères des orteils sont rarement touchées par la calcification, ce qui les rend propices à une mesure de la pression artérielle, réalisée d’une façon similaire à l’IPS, mais avec des brassards de pression bien plus petits [24]. L’IPO a l’avantage supplémentaire d’être plus adapté aux patients présentant des douleurs extrêmes dans les membres inférieurs (cas pour lesquels la mesure de l’IPS est contre-indiquée), que ces douleurs aient pour origine une ulcération (risques plus élevés chez les patients atteints d’IRT) ou d’autres causes [25, 26, 27]. La valeur de l’IPO dans le domaine de la néphrologie est bien reconnue, avec des études démontrant sa supériorité pour le diagnostic de l’AOMI chez les patients atteints d’IRT (par rapport à l’IPS), et son efficacité en tant qu’indicateur de la mortalité chez les patients dialysés [28, 29].
Le dépistage de l’AOMI chez les patients atteints de pathologies néphropathiques sur la base de l’IPS doit être accompagné d’une évaluation de l’IPO, une mesure adaptée y compris chez les individus présentant des artères incompressibles, et dont la valeur diagnostique ne se limite pas à l’AOMI.